Petersen par Etienne Audfray

Un jour de printemps 1959, je demande à être reçu par Armand Petersen. Pourquoi cette démarche ? Sculpteur moi-même, j'avais eu connaissance de la notoriété et de la compétence d'un homme, spécialiste reconnu d'une discipline artistique que je souhaitais approfondir. Au premier abord, j'ai découvert un homme élégant, un peu sévère, assez peu enclin à un accueil spontané et ouvert, mais très poli et intelligent.

Je lui ai présenté, un peu maladroitement une de mes sculptures qu'il a regardée avec attention et politesse.
C'était un homme bien élevé, moi aussi ; et finalement nous convenons de nous revoir à son atelier qui se trouvait rue Agnès Sorel, à cinq minutes de la chambre qu'il occupait à la Maison des Artistes à Nogent.

Cet atelier, construit sur un terrain sans caractère mais herbeux et arboré faisait partie d'un ensemble de six autres où travaillaient Benon.Gimond, Van Hasseit, Guy Loé et Petersen.

Très vite, nous nous sommes trouvé des goûts communs. Affecté par sa solitude (il avait perdu quelque temps plus tôt son épouse) attristé, il se sentait désemparé et solitaire. Par l'admiration très réelle que j'ai tout de suite portée à ses travaux, très vite, nous avons sympathisé et entretenu des relations confraternelles et familiales pendant dix ans, caractérisées jusqu'à son décès en 1969 par une collaboration active.

J'avais une voiture, lui pas, un peu de temps disponible pour visiter galeries, fondeurs, antiquaires, musées. Nous allâmes même jusqu'à Bruxelles admirer l'Atomium à l'exposition internationale en 1968. C'est ainsi qu'il devint pour mon épouse et moi, l'ami de la famille, un peu l'oncle de province qui venait dîner le bouquet de fleurs à la main, quelquefois même avec une sculpture originale. Hé oui, il était bon !

Devenu maire de la ville de Bry-sur-Marne en 1965, au titre de la loi des 1% attribués aux artistes pour décorer une école, j'ai eu la joie de lui commander une grande Panthère en bronze. Je rendais ainsi hommage à son talent, de façon bien tardive, car mourant en 1969 au moment du règlement de l'œuvre, je dus verser les honoraires de l'artiste à sa succession dont j'étais devenu bien malgré moi l'exécuteur, à l'exclusion de son frère Georges qui n'apprécia pas que son frère Armand ne fut pas un gérant d'entreprise comme lui, considérait curieusement que l'œuvre d'un artiste ne méritait pas le respect que je lui vouais.

Quelques mois plus tard, Georges son ainé, s'éteignait à son tour, seul, lui aussi sans descendance directe.

Quand, jeune sculpteur dilettante, (à l'époque je partageais mon temps entre mon métier de cartographe le jour et la sculpture le soir), qu'ayant la même passion, je soumis à son appréciation une de mes œuvres, je m'adressai au sculpteur et à son expérience.

Par amitié, je lui proposai de l'aider à mon tour pour ses plâtres et moulages qu'il n'aimait pas faire. Je devins en quelque sorte son praticien tout en profitant de ses leçons qui me firent réfléchir personnellement et corriger mes œuvres. Sincèrement, Petersen m'a influencé en me montrant le rôle prééminent de la lumière si la forme dont les contours ne doivent pas être brutalement arrêtés, prolongeant ainsi l'harmonie des profils.

Petersen m'enseigna des principes de sculpture applicables à la statuaire à laquelle je me destinai. Par la suite, j'ai expérimenté cette prise de conscience en épurant l'artificiel jusqu'à la simplicité en gardant mon émotion. En contribuant à son œuvre, (il reprenait goût au travail dans un atelier plus grand et confortable que je lui agençai) s'installa une coopération, une amitié, une compréhension dans un domaine cher à nous deux, artistes et amis.

S'il avait commencé par des figures, Petersen s'était perfectionné dans l'étude des animaux : il me prodiguait des conseils de sculpture, basés sur ses recherches et ses propres expériences. Je devins sculpteur à part entière, mon atelier est rempli de figures. A Nogent, il était entouré d'autres artistes : comme Marcel Gimond, sculpteur, son voisin d'atelier ainsi que de peintres : Van Hasseit, dont j'aménageai l'atelier et la mezzanine comme je l'avais fait pour Petersen où il vint poser pour son portrait, saisissant de vérité et de présence Je me rappelle l'avoir conduit à l'Institut en grand habit d'académicien.

Au cours de notre amitié, il me parlait de ses amis, des animaliers, de Pompon qu'il avait étudié à fond. Je fis connaissance de Jean Joachim, le praticien du grand Ours taillé en pierre dans l'atelier des Supery (son père) à Malakoff. Sculpteur animalier à la suite de Pompon, professeur à l'Ecole d'Art du Marais, il habitait Nogent, donc tout prés. En tant que maire de Bry et sculpteur, je créai une école de sculpture dont Joachim devint un des professeurs sans se spécialiser dans l'art animalier.

L'art animalier ne m'a pas tenté, mais peu à peu, les circonstances y aidant, j'en compris l'intérêt, et celui des expositions où Petersen s'était révélé, du rôle de Sandoz, son ami suisse comme lui. Or, après la fermeture du cercle Volney et la mort de Sandoz, les artistes animaliers ne pouvaient plus se réunir. L'Académie Grammont, composée surtout des vétérinaires de Maisons Alfort, avait repris le principe des expositions mais, faute de locaux, elles étaient itinérantes, jusqu'en Amérique Latine. Je proposais en 1974 de recueillir alors le Salon des Artistes Animaliers en l'Hôtel de Malestroit, restauré par mes soins, à Bry.

Quand en 1969, mon ami Petersen me confia son atelier en mourant, sachant que son frère Georges ne s'y intéressait pas, aurait-il fallu détruire l'œuvre d'une vie qui me rappelait mon ami et mon engagement à la sculpture ? J'eus à cœur de continuer à l'honorer, c'est pourquoi, dépositaire de son œuvre, il m'a semblé utile de la faire mieux connaître. Sa sculpture est représentative d’une époque, âge d’or de l’art animalier, où ce créateur exceptionnel tient une place importante. 

Etienne Audfray Etienne Audfray

Sa vie

Armand Petersen nait le 25 novembre 1891 à Bâle (Suisse). Il entre à l'École d'Arts Industriels à Genève, dans la classe d'orfèvrerie et de ciselure. Édouard-Marcel Sandoz, avec dix ans d'écart, suivra la même formation.

En 1914, Petersen arrive à Paris pour y poursuivre ses études mais repart pendant quatre ans dans l'atelier du sculpteur hongrois, Bêla Markup, qui l'initie au modelage. Sculpteur animalier, il lui fait découvrir les animaux au parc zoologique de Budapest.

En 1924, l'art animalier est en plein essor. Pompon, révélé en 1922 au salon d'Automne par son grand Ours Blanc, regroupe au Jardin des Plantes des jeunes animaliers qui étudient les modèles sur nature en suivant ses conseils.

Le choix de l'animal s'affirme en 1926, Petersen travaille à la fauverie du Jardin des Plantes et se joint au groupe des adeptes de Pompon qui enseigne sa méthode sur le terrain.

Edgard Brandt, propriétaire d'une galerie d'art le remarque. Dans l'équipe des animaliers attachés à la galerie, Pompon, Sandoz, le meilleur de l'art s'y rencontre.

En 1927 Armand Petersen se marie. Son épouse va le convaincre de sortir de sa réserve, l'aidera par son métier de journaliste à révéler une œuvre déjà parfaite.

La première exposition des "Animaliers" s'ouvrit dans la galerie Brandt en 1927. Petersen se retrouve aux côtés de Sandoz, Bigot, Artus et Pompon. La critique remarque ce nouvel artiste.

La Manufacture de Sèvres cherche dans l'art contemporain de l’époque des œuvres pour les adapter à sa matière récente, le grès tendre coloré donnant un tout autre rendu que le biscuit. La Manufacture retient 3 œuvres de Petersen. L'aspect financier, la diffusion des œuvres par la Manufacture, ses expositions et ses magasins de vente, présentaient l'avantage de pouvoir exposer une œuvre en des matériaux différents à plusieurs endroits, en réservant au bronze une place à part car plus coûteux.

La comparaison avec Pompon s'impose mais son indépendance et son originalité diffèrent par son impression d'insécurité de ses bêtes toujours sur le qui-vive. A la différence de celles de Pompon "qui sont naturellement des bêtes du Bon Dieu, sans frayeur". Cette particularité d'expression subtile fait de Petersen un animalier de talent.

En 1929, deux ans après sa "découverte" Petersen fait partie des meilleurs animaliers. On le cite après Pompon et comme son émule.

Brecy écrit «Petersen émule de Pompon qui ne signe guère que des chefs-d'œuvre...» et plus loin signale «L'Antilope craintive est un petit chef-d'œuvre ciselé avec tant de tendresse que toute la vie de cette petite bête s'y montre touchante et vraie»

Yvon Lapaquellerie dans "L'Amour de l'Art"  écrit "il travaille sa matière aussi précieusement que l'or. L'art de Petersen a quelque chose de religieux et c'est cette spiritualité dont son œuvre est imprégnée qui lui donne un cachet si rare et lui permet de trancher sur les productions des autres animaliers".

En 1932, la crise économique touche les artistes qui exposent souvent leurs œuvres en plâtre. Les éditions en céramique fourniront un revenu à bon nombre d'artistes, comme à Petersen qui va les multiplier tant à la Manufacture de Sèvres qu'à la Manufacture Nationale Bing et Grondàhl de Copenhague par de nouveaux contrats.

Pompon, l'âme du groupe, meurt le 6 mai 1933. Le groupe va rapidement se dissoudre. Les animaliers grâce à Sandoz qui a racheté la galerie Brandt continueront à se réunir jusqu'en 1939.

1935 Petersen obtient la nationalité française mais retourne régulièrement exposer en Suisse.

A la déclaration de la guerre en 1939, la mobilisation dissout le groupe des animaliers. Petersen a 48 ans, double nationalité, mais n'est pas mobilisé. Il reste en France. En 1942 les fonderies ne sont plus pour les artistes qu'un souvenir, plus d'exposition d'animaliers, l'année touche sévèrement tout le monde, les animaux du Jardin des Plantes sont abattus quand on ne peut plus les nourrir.

En 1943, arrêté par les allemands, conduits à Fresnes pour être déporté, Petersen est libéré de justesse par l'intervention de sa belle-fille, son beau-père étant médecin laryngologiste auprès d'un chanteur de l'Opéra. C'était un artiste autrichien, un voisin de la rue Ordener où il habitait qui l'avait dénoncé par jalousie. A la libération sa belle-fille retrouvera cette même personne dans la même suite au Bristol, cette fois en uniforme américain !

En juillet 1950, sa femme meurt d'un cancer, et pour Armand Petersen, c'est la fin d'une période heureuse. Malgré sa tristesse et son état dépressif, se rendant compte de sa solitude, il prend la décision de poursuivre son œuvre en allant à Nogent, dans la Maison des Artistes, grâce à Guy Loé, son directeur, qui lui propose cette solution.

Cette grande coupure provoque le départ d'une nouvelle période où le sculpteur pendant 17 ans va parfaire l'œuvre et créer des modèles en voulant les représenter à leur taille réelle dans la nature. Le Chevreuil sera exposé au Salon d'Automne 1952. La Grue Cendrée agrandie à la taille moyenne a bénéficié des dernières réflexions du sculpteur qui accentue le mouvement par l'écart des pattes et la torsion du cou.

Pour la première fois, l'État s'intéresse à l'œuvre de Petersen et le 21 juillet 1954, acquiert le grand Chevreuil qui sera fondu en 1955 et remis à Louviers le 30 mars 1956, où il est actuellement. Armand Petersen a reçu par la suite de nombreuses commandes de l’état français et étranger. On en trouve dans un grand nombre d'ambassades françaises mais également dans des musées comme un «Hippopotame» du Musée d'Orsay prêté au Musée de Vernon, une «Grue Cendrée» au Musée de la Chasse à Gien, un «Taureau» au Musée d’Angers ainsi que la «Panthère» à Bry-sur-Marne, le «Corbeau» et le «Veau» à Bâle (Suisse).

1959 année de sa rencontre avec Etienne Audfray jeune sculpteur. L'amitié réciproque révélera la véritable vocation du jeune homme qui deviendra son élève et son collaborateur. En août 1959, la galerie Dreyfus devient le représentant exclusif des œuvres de Petersen aux États-Unis.

Il entreprend un dernier agrandissement d'une Panthère en 1969. Petersen se sent de plus en plus fatigué et le propose à la fonderie Godard il écrit à son ami Etienne "le plâtre a été examiné, il sera pris en septembre car la fonderie ferme au mois d'août." 

Atteint d'un cancer, il mourra sur la table d'opération le 20 septembre après avoir donné son atelier à son ami car Petersen n'eut aucun descendant. La Panthère restait impayée. Etienne Audfray s'en chargea sur ses fonds personnels et la fit placer devant une école de Bry dont il était le Maire.

Pour conclure on peut dire que :

Le choix animalier du sculpteur lui fit partager une époque appelée "âge d'or", celle des années 30, dominée par des figures restées à juste titre célèbres, car elles marquèrent toute une génération en imprimant un style à un groupe d'animaliers dont il fit partie.

C'est en France qu'il fut reconnu aux côtés des meilleurs et des plus grands qui joueront un rôle prédominant dans l'élaboration de son œuvre et de sa reconnaissance. Il est intéressant de suivre un descendant de Pompon qui, tout en assimilant ses principes sut garder une certaine originalité, en alliant plusieurs talents, renouant avec sa formation d'orfèvre pour arriver à l'œuvre précieuse et souvent unique.

Une grande continuité et un souci de perfection sont les caractéristiques d'un homme, artiste de rigueur qui sut évoluer sans heurt malgré les coupures imposées par les circonstances de sa vie qu’il sut surmonter, tributaire cependant d'une époque troublée et de son refus de la facilité.

Aujourd’hui très prisées du marché de l’art ses œuvres sont présentées dans tous les plus grands salons internationaux comme la Biennale de Paris, au TEFAF de Maastricht et au PAD Paris.

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